Rose à l'île
de Michel Rabagliati

critiqué par Blue Boy, le 4 mai 2024
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Parenthèse enchantée au bord du Saint-Laurent
En 2017, Michel Rabagliati, ou plutôt Paul, loue un chalet au bord du St Laurent, à l’écart de la ville, pour passer quelques jours avec sa fille Rose, âgée de 23 ans. C’est elle qui a choisi l’endroit, qui lui rappelait les vacances de son enfance : une petite île peu peuplée et hors du temps, cernée par la forêt et le fleuve, où nagent les phoques et les baleines, où la vie s’écoule lentement pour apaiser les peines…

« En vieillissant, les gens ont tendance à délaisser la BD pour les romans et les essais ». Cette réplique de Paul, derrière lequel l’auteur québécois a pris l’habitude de s’abriter, à une habitante de l’île explique peut-être l’existence de « Rose à l’île ». Car si l’ouvrage inclut bon nombre de dessins de Michel Rabagliati, il s’agirait plutôt d’un roman illustré, une sorte de journal de vacances. En s’essayant à l’écriture, Rabagliati y raconte la beauté du lieu où tout semble si simple, mais y aborde aussi quelques questionnements existentiels, notamment à travers la réplique citée plus haut, dans un état d’esprit qui rappelle son dernier opus, « Paul à la maison ». Dans cet album, où déjà Rose faisait une apparition, il nous parlait de la crise de la cinquantaine et de ses angoisses diverses, tout en conservant bien sûr l’humour qui le caractérise…

« Rose à l’île » constitue une lecture très plaisante. Michel Rabagliati ne cherche pas à y afficher ses prétentions littéraires ni à faire étalage d’une quelconque érudition. Il se contente d’évoquer avec simplicité, à travers le personnage de Paul, la vie au jour le jour avec sa fille et son bonheur de partager ces moments si rares avec elle, un peu comme des retrouvailles entre deux êtres qui s’étaient perdus de vue, dans un lieu unique en immersion avec la nature, loin des tracas du quotidien et des villes. A l’aide de son carnet de croquis, l’auteur se livre à une observation silencieuse des paysages iliens, de sa faune et de sa flore, alternant avec des réflexions favorisées par un environnement propre à la contemplation, qui permet de « regarder au loin en fumant la pipe sur un rocher en regardant le fleuve ». Il nous offre aussi quelques portraits de Rose d’où émerge l’infinie tendresse d’un père.

Le livre est truffé d’anecdotes occasionnées par les balades à travers la petite île (12 km de long) et les rencontres avec les rares résidents de l’île, ainsi qu’une digression historique sur la naissance de Québec et de la « Nouvelle France », et de ses effets plus déprimants comme la mise à l’écart des populations autochtones ou l’extermination des animaux à fourrure…

Dans un mode plus personnel, Michel « Paul » Rabagliati évoque les dix dernières années, cette décennie « de marde » où « tout a foutu le camp » (avec un passage poignant sur son père, qui a sa mort, lui a légué un carnet de croquis qu’il conserve précieusement depuis), compensée par sa notoriété croissante hors du Québec, bien qu’un peu tardive (la promo c’est fatiguant à partir d’un certain âge !).

On le sent bien à la lecture de « Rose à l’île », l’auteur s’est offert un moment récréatif dans un lieu magique qui, indubitablement, lui aura permis de se ressourcer. Le lecteur lui saura gré d’avoir bien voulu partager avec lui ces instants hors du temps, même s’il espère vivement que Rabagliati retrouvera le punch nécessaire pour nous proposer une nouvelle « vraie » BD, avec ou sans Paul…